Rapport et photos par Zac Robinson
Le mont Logan, le plus haut sommet du Canada, est situé dans la chaîne des champs de glace des monts St. Elias, dans le parc national et la réserve de parc national Kluane, au Yukon. Notre équipe a emprunté la voie de la fosse King pour se rendre sur le plateau au sommet de la montagne, où divers projets scientifiques ont été menés.
Il n’a pas été facile de planifier cette initiative – nous avons lancé notre site Web en décembre 2019 en prévision de l’expédition prévue en mai 2020, mais la pandémie de COVID-19 a forcé l’annulation soudaine de ce premier voyage. Nous avons tout reporté à l’année suivante, en mai 2021. Cette année supplémentaire de planification nous a permis d’ajouter d’autres projets à l’initiative : notamment le remesurage de l’altitude du sommet (précédemment mesurée lors d’une expédition commanditée par la SGRC en 1992), ainsi que l’aménagement d’une station météorologique sur le plateau au sommet du col Prospector. Les restrictions de voyage au printemps 2021 ont toutefois modifié la composition et la taille du groupe. Quatre scientifiques américains spécialistes des carottes de glace avaient initialement prévu de se joindre à l’équipe d’alpinistes, mais la fermeture de la frontière canado-américaine les en a empêchés. Les deux chargés de recherche principaux ont donc été rejoints par Rebecca Haspel, une géologue de Calgary, et par Toby Harper-Merrett, un vice-président du Club Alpin du Canada.
Les restrictions de voyage dans le territoire exigeaient que nous respections une période d’isolement volontaire de 14 jours avant d’être autorisés à nous rendre plus loin au Yukon. Nous avons loué une petite maison dans la banlieue de Whitehorse à la fin du mois d’avril, et nous avons passé notre période de quarantaine à organiser et à emballer notre matériel, à nous familiariser avec divers instruments scientifiques et à nous maintenir en forme du mieux que nous le pouvions. Cela nous a donné l’occasion à tous d’apprendre à nous connaître un peu mieux avant d’arriver à la montagne. Le 5 mai, une fois notre période d’isolement volontaire terminée, nous nous sommes déplacés vers l’ouest avec une navette locale (Black Bear Wilderness Adventures) jusqu’à Haines Junction puis jusqu’à Silver City, où le pourvoyeur Icefields Discovery devait nous emmener par avion au pied de la montagne. Nous avions besoin d’un temps propice au vol, que nous avons eu, fort heureusement. Deux vols dans un avion Helio Courier turbocompressé sur roues et skis nous ont permis à tous les quatre, avec notre matériel, d’atteindre le camp de base sur le glacier Quintino Sella. À la fin de la journée, nous étions au pied de la montagne, prêts à partir.
Le voyage jusqu’à la fosse King s’est déroulé sans encombre. Les jours se succédaient sans grand changement; nous transportions des chargements de fournitures en traîneau vers le sommet, puis nous redescendions pour dormir, nous établissions ensuite le camp un peu plus haut le lendemain, et nous avons répété ce manège sans interruption. Ce style d’ascension nous a permis de nous acclimater progressivement à l’altitude et de transporter des charges (légèrement) moins lourdes. Nous transportions de la nourriture et du carburant pour 14 jours – soit assez, nous l’espérions, pour nous rendre facilement jusqu’au plateau, où d’autres provisions et du carburant devaient être acheminés par avion, avec du matériel scientifique supplémentaire.
Au total, nous avons établi quatre camps au-dessus de notre camp de base initial – le camp 1 dans la fosse King elle-même, le camp 2 au col King, le camp 3 sur le « terrain de football », juste sous le col Prospector, et le camp 4, le dernier, sur le plateau du sommet, juste sous le col Prospector-Russell. Le choix de notre itinéraire dans la fosse King a été facilité grâce à une photographie aérienne que nous ont remise nos amis du groupe de la sécurité des visiteurs de Parcs Canada. Cette photo avait été prise au cours d’un vol d’entraînement en début de saison depuis le sommet du pic King, et elle montrait la route glaciaire entre le col King et le col Prospector. Ce tronçon est le passage le plus difficile de l’itinéraire dans la mesure où il contient plusieurs obstructions complexes, y compris une cascade de séracs juste au-dessus du col King. Mais la vue aérienne nous a permis de voir par où nous faufiler efficacement et en toute sécurité entre les différents réseaux de crevasses. Nous avions aussi la chance de pouvoir compter sur la force et le talent de Rebecca Haspel, qui nous ouvrait la voie.
Il nous a fallu huit jours de marche à ski pour aller du camp de base au camp du plateau, ce qui est somme toute très bon. La météo était avec nous. En fait, nous n’avons perdu qu’une seule journée pendant l’ascension en raison du mauvais temps – on ne peut pas faire grand-chose d’autre que se mettre à l’abri et attendre quand les vents atteignent 90 km/h!
Quand nous sommes arrivés au plateau du sommet, un hélicoptère nous attendait (Horizon Helicopters) avec d’autre matériel scientifique, des provisions et du carburant. Nous avons aménagé un camp d’altitude à proximité des plateaux sous le col Prospector-Russell, où nous avons passé les cinq jours suivants. Nous en avons profité pour réaliser un levé de la région par géoradar, et les données recueillies aideront Alison à déterminer l’emplacement du prélèvement des carottes de glace en 2022. Une fois cette opération terminée, le 18 mai, nous avons traversé le plateau de vingt kilomètres de long jusqu’à son extrémité orientale, où nous avons gravi le sommet principal.
Nous n’avons passé que 35 minutes au sommet, juste le temps de mesurer l’altitude à l’aide de récepteurs GNSS, de prendre de nombreuses photos et de nous féliciter mutuellement. À partir de notre camp d’altitude, le trajet aller-retour jusqu’au sommet a duré 13 heures.
Il nous restait un objectif à réaliser : l’aménagement de la station météorologique. Sur le plan logistique, le 19 mai a été le jour le plus délicat de l’expédition. Un sentiment d’urgence s’était installé, car un ami nous avait informés par communication satellite InReach que la fenêtre météorologique relativement stable que nous avions connue tirait à sa fin. Il ne nous restait qu’un seul jour de temps clément. Cela signifiait que nous devions quitter le plateau, ou risquer d’y rester coincés, exposés et peu protégés, pendant une longue période. Aussi, le lendemain de notre ascension réussie vers le sommet, nous sommes passés en mode triage : dès le lever du jour, Alison et Toby ont remballé leur équipement et se sont dirigés directement au col Prospector, point de sortie du plateau et également l’endroit choisi pour ériger la station météo, tandis que Zac et Rebecca démantelaient le camp d’altitude et préparait l’équipement scientifique pour qu’il soit rapidement cueilli par hélicoptère.
Un appareil est arrivé en mi-journée, d’abord pour déposer l’équipement de la station météorologique destiné à Ali et à Toby qui attendaient au col, puis il est parti rencontrer Zac et Rebecca pour cueillir l’équipement radar. Tout s’est déroulé sans problème. Zac et Rebecca ont ensuite fini de lever le camp puis ont enfilé leurs skis pour rejoindre Alison et Toby, qui avaient commencé à ériger la station. En milieu d’après-midi, nous avons achevé l’installation tous ensemble tandis que la température baissait rapidement et que le vent se levait. En début de soirée, alors que la station météo émettait ses tout premiers signaux par satellite, nous avons quitté le plateau à ski et nous sommes descendus à notre camp précédent, au « terrain de football ». Malgré quelques engelures mineures, nous estimons avoir été plutôt chanceux. Nous nous sommes retrouvés sous la tente le jour suivant, avec une visibilité nulle.
La descente qui a suivi vers le camp de base s’est bien déroulée. Profitant d’une courte fenêtre météo le matin du 21 mai, nous avons pu skier jusqu’à la cascade de séracs au-dessus du col King, où nous avons procédé à deux descentes techniques des traîneaux sur les pentes les plus raides, qui étaient alors sous le plafond nuageux. Une fois dépassée la cascade de séracs, au début de la grande fosse King, le trajet s’est déroulé sans encombre. Nous avons glissé jusqu’au camp de base, où nous sommes arrivés en fin d’après-midi. La persistance de conditions météorologiques instables a cependant retardé toute possibilité de cueillette à court terme. Il faudra encore trois jours avant qu’un avion puisse venir nous chercher.
Dans l’ensemble, l’expédition s’est très bien déroulée. La météo a été clémente quand il le fallait. Nous avons eu la collaboration d’une équipe merveilleuse. Nous avons parcouru à skis le plus haut sommet au Canada sans jamais nous départir de notre sens de l’humour, en ayant du plaisir et en restant de bonne humeur; nous avons même célébré non pas un, mais deux anniversaires (ceux de Zac et d’Alison) en cours de route. Et nous avons pu atteindre tous nos objectifs. Nous avons été particulièrement chanceux de pouvoir faire cette ascension au cours d’une année relativement « tranquille ». Deux autres équipes seulement se sont rendues à la fosse King : un quatuor du Yukon, et deux skieurs avec cerf-volant originaires d’Invermere, en Colombie-Britannique. Tous ont atteint le sommet.